CHAPITRE DIX-HUIT

Une froide odeur de panique assaillit les narines d'Honor comme elle quittait sa pinasse; partout se tenaient des sentinelles armées. Elle avait déjà rencontré le capitaine de vaisseau au visage fermé qui vint l'accueillir, et elle n'avait pas apprécié ce premier contact, mais d'autres soucis repoussaient pour le moment le fanatisme de l'homme à l'arrière-plan.

C'était l'un des avantages des catastrophes militaires de grande ampleur, se dit-elle amèrement tandis qu'il l'escortait d'un pas raide vers un véhicule planétaire : comme la perspective d'être pendu, elles permettaient une extraordinaire concentration de l'esprit.

Nimitz s'agita sur son épaule, ses oreilles s'aplatirent et il se mit à tirer nerveusement sur le béret blanc d'Honor d'une de ses pattes préhensiles : la tension environnante agressait ses sens empathiques. Honor leva la main pour le caresser. Elle avait d'abord eu l'intention de le laisser sur le vaisseau mais il n'avait pas caché ce qu'il pensait de cette idée et, pour tout dire, elle n'en était pas mécontente. Aujourd'hui encore, personne ne comprenait vraiment comment fonctionnait le lien empathique entre un chat sylvestre et son partenaire humain, mais Honor (comme tous ceux précédemment adoptés par un de ces animaux) était convaincue qu'il l'aidait à garder son calme.

Et en ce moment, elle avait besoin de toute l'aide qu'elle pourrait trouver dans cette tâche.

Le véhicule planétaire l'emmena vers l'ambassade à travers les rues désertes. Les quelques piétons qu'ils croisèrent se hâtaient, lançant continuellement des regards furtifs vers le ciel. Le système d'aération de la voiture était hermétique et dispensait un air frais et propre, mais une fois encore elle y sentit la panique.

Elle comprenait ce sentiment car l'équipe de Langtry avait fait mieux que ce qu'elle avait demandé : elle avait reçu le résumé de la situation une heure avant d'entrer en orbite de Grayson et son contenu sinistre lui avait révélé ce à quoi ses habitants étaient véritablement confrontés. Six siècles durant, leurs ennemis mortels s'étaient juré de les détruire. Ils avaient aujourd'hui la capacité de le faire, et le seul espoir de Grayson résidait dans une escadre de vaisseaux de guerre étrangers qui, peut-être, s'interposeraient entre eux et Masada. Une escadre commandée par une femme !

Oh oui, elle comprenait leur peur, et cette compréhension éveilla au fond d'elle une certaine sympathie malgré la façon dont on l'avait traitée.

La voiture arriva à l'ambassade et elle ravala un nouvel accès de détresse en apercevant Sir Anthony Langtry qui l'attendait, seul. Elle aurait dû voir une autre silhouette à côté du grand et imposant ambassadeur. Une petite silhouette au visage malicieux paré d'un petit sourire à son adresse.

Elle passa devant le fusilier en faction en remarquant son armure corporelle et son pulseur chargé, et monta les marches. L'ambassadeur descendit à sa rencontre.

« Sir Anthony. » Elle lui serra la main sans laisser aucune trace de son chagrin colorer sa voix ou son visage.

— Capitaine. Dieu merci, vous êtes là. » Langtry avait été colonel chez les fusiliers. Il comprenait que la situation était désagréable et elle crut lire une trace de la traditionnelle déférence des fusiliers envers le capitaine d'un vaisseau de Sa Majesté dans ses yeux enfoncés tandis qu'il la faisait entrer dans l'atmosphère filtrée de l'ambassade. C'était un homme grand mais sa corpulence

— J'ai parfaitement l'intention de protéger les sujets de Sa Majesté, monsieur Houseman. » Honor savait que son antipathie pour le personnage teintait sa voix mais elle n'y pouvait rien. « La meilleure façon de le faire, cependant, consiste à protéger la planète entière, pas seulement les territoires où résident des Manticoriens.

— Ne prenez pas ce ton avec moi, capitaine ! Depuis la mort de l'amiral Courvosier, c'est moi qui suis responsable de cette délégation. Je vous saurais gré de le garder à l'esprit et d'attendre mes instructions !

— Je vois. » Le regard d'Honor se durcit. « Et quelles pourraient bien être ces instructions, monsieur Houseman ?

— Voyons, d'évacuer bien sûr ! » Houseman la regarda comme si elle était l'un de ses étudiants les plus lents de l'université de Mannheim. « Je veux que vous commenciez dès maintenant à prendre des mesures en vue d'une évacuation rapide et calme de tous les sujets manticoriens à bord de vos vaisseaux et des transporteurs encore en orbite.

— Et le reste de la population de Grayson, monsieur Houseman? s'enquit doucement Honor. Dois-je également l'évacuer ?

— Bien sûr que non ! » La mâchoire d'Houseman devint écarlate. « Et que je n'aie pas à vous reprendre pour votre impertinence, capitaine Harrington ! Les habitants de Grayson ne sont pas sous votre responsabilité, contrairement à nos sujets !

— Donc mes instructions sont de les abandonner. » La voix d'Honor était monocorde, dénuée de toute inflexion.

« Je suis vraiment désolé de les voir dans cette situation. » Houseman ne put soutenir le regard dur d'Honor mais il s'entêta. « Je suis vraiment désolé, répéta-t-il, mais la responsabilité de cette situation ne nous incombe pas. Dans ces circonstances, notre premier souci doit être la sécurité et la protection de nos ressortissants.

— Vous-même inclus. »

Houseman releva brusquement la tête en entendant le mépris glacial et sans fond qui perçait dans cette douce voix de soprano. Il recula un instant puis frappa du poing sur la table de conférence et se mit brusquement debout.

— C'est la dernière fois que je vous le dis, capitaine ! Contrôlez-vous lorsque vous vous adressez à moi ou je vous ferai casser ! Je me soucie uniquement de mes responsabilités – des responsabilités que moi je reconnais, même si vous ne le faites pas – en tant que gardien des intérêts de Sa Majesté dans le système de Yeltsin !

— J'avais l'impression que nous avions un ambassadeur pour s'occuper des intérêts de Sa Majesté », répliqua Honor. Langtry s'approcha d'elle.

— En effet, commandant. » Sa voix était froide et il avait beaucoup moins l'air d'un ambassadeur que d'un colonel en fixant Houseman. « Monsieur Houseman représente peut-être le gouvernement de Sa Majesté dans le cadre de la mission de l'amiral Courvosier à Yeltsin, mais je représente quant à moi les intérêts plus larges de Sa Majesté.

— Pensez-vous que je doive me servir de mon escadre pour évacuer les sujets manticoriens du front, monsieur ? » demanda Honor sans quitter Houseman des yeux. Le visage de l'économiste se déforma de rage comme Langtry répondait.

— Non, commandant. De toute évidence, il serait sage d'évacuer autant de personnel et de civils que possible à bord des transporteurs encore disponibles, mais selon moi votre escadre sera mieux employée à protéger Grayson. Si vous le souhaitez, je peux mettre ça par écrit.

— Allez vous faire voir ! hurla Houseman. Et ne jouez pas au plus fin avec moi, Langtry ! S'il le faut, je vous ferai virer du ministère en même temps que je la ferai traduire en cour martiale !

— Vous pouvez toujours essayer. » Langtry eut un grognement méprisant.

Houseman était en rage et la bouche d'Honor se déforma tandis que sa propre fureur rejoignait celle du diplomate. Après tout le mépris qu'il avait affiché à l'encontre des militaires et la certitude suffisante de sa propre supériorité dans l'ordre des choses, il ne pensait plus maintenant qu'à ordonner à ces mêmes militaires honnis de sauver sa précieuse vie ! Le vernis et la sophistication de surface avaient craqué pour dévoiler une affreuse lâcheté qu'Honor était très mal placée pour comprendre, encore moins pardonner.

Il prit son courage à deux mains pour répondre à Langtry et Honor sentit la présence de l'officier graysonien qui restait silencieusement sur le côté. Elle avait honte qu'il assiste à cette scène, et sous la honte et la colère couraient le terrible sentiment de perte lié à la mort de l'amiral et l'idée qu'elle en était responsable. Cet homme – ce ver de terre, oui – n'allait pas détruire tout ce à quoi l'amiral avait travaillé, et pour quoi il était mort !

Elle se pencha vers lui par-dessus la table, croisant son regard à moins d'un mètre de distance, et sa voix fit l'effet d'un scalpel sur la nouvelle explosion de colère du diplomate.

— Fermez votre grande gueule de lâche, monsieur Houseman. » Ces mots froids furent énoncés d'une manière précise, presque calme, et il eut un mouvement de recul. Son visage devint écarlate, puis blême, et se déforma sous l'effet de l'indignation, mais elle poursuivit sur le même ton glacial qui faisait de chaque mot un coup de couteau. « Vous me dégoûtez. Sir Anthony a entièrement raison et vous le savez. Vous refusez simplement de l'admettre parce que vous n'avez pas le courage de faire face à la vérité.

— Je vous ferai dégrader ! lança Houseman. J'ai des amis haut placés et je... »

Honor le gifla.

Elle n'aurait pas dû. Elle savait, tout en armant son geste, qu'elle dépassait les bornes, mais elle mit toute la force de ses muscles sphinxiens dans ce revers de main, et Nimitz grogna de rage partagée. On aurait dit en entendant le claquement qu'une branche d'arbre s'était cassée, et Houseman fut projeté en arrière tandis que du sang jaillissait de son nez et de ses lèvres enflées.

Une brume rouge brouillait la vision d'Honor. Elle entendit Langtry parler d'un ton pressant mais elle n'y prêta pas attention. Elle se saisit d'un bout de la table de conférence et la balança hors de son chemin en avançant sur Houseman. Le diplomate, la bouche sanglante, jouait désespérément des mains sur le sol pour s'éloigner sur les fesses.

Elle ignorait ce qu'elle aurait fait ensuite s'il avait montré le moindre courage physique. Elle ne le saurait jamais car, tandis qu'elle s'avançait dangereusement au-dessus de lui, elle l'entendit sangloter de terreur, ce qui l'arrêta net.

Sa fureur brute regagna l'arrière-plan de son esprit, une fureur toujours grondante, aux griffes acérées, mais cette fois Honor en avait le contrôle. Quand elle parla, sa voix était froide et distante... et cruelle.

« Nous sommes venus ici dans le seul but de conclure une alliance avec l'Étoile de Yeltsin, s'entendit-elle reprendre. Pour montrer à ces gens qu'une entente avec Manticore pouvait les aider. Notre Royaume s'était engagé dans ce sens et l'amiral Courvosier le comprenait bien. Il savait que l'honneur de la Reine est en jeu ici, monsieur Houseman. L'honneur du Royaume de Manticore tout entier. Si nous fuyons, si nous abandonnons Grayson alors que Havre prête son assistance aux Masadiens, nous le savons, et alors que c'est notre différend avec les Havriens qui a poussé nos deux forces à s'engager dans ce système, nous souillerons irrémédiablement l'honneur de Sa Majesté. Si vous ne pouvez pas voir les choses autrement, imaginez l'impact que cela produirait sur toutes les alliances que nous tenterions de conclure par la suite ! Si vous croyez que vous pouvez pousser vos "amis haut placés" à me révoquer pour avoir accompli mon devoir, allez-y, essayez. Pendant ce temps-là, ceux d'entre nous qui ne sont pas des lâches devront se débrouiller de leur mieux sans vous ! »

Elle tremblait mais sa rage s'était calmée. Elle fixait le diplomate en pleurs, effrayé par ce regard dur et résolu dans lequel il ne voyait que le tueur tapi. Il suffoquait de terreur.

Elle l'observa encore un moment puis se retourna vers Langtry. L'ambassadeur était un peu pâle mais une certaine approbation transparaissait sur son visage et il se redressa.

« Bon, maintenant, Sir Anthony, dit-elle plus calmement, le capitaine Truman travaille déjà sur un plan d'évacuation des familles de vos employés. De plus, nous allons avoir besoin des noms et de la localisation de tous les autres sujets manticoriens sur Grayson. Je crois que nous pouvons charger tout le monde dans les transporteurs, mais ceux-ci n'ont pas été conçus pour le transport de passagers. Les installations seront inconfortables, primitives, et le capitaine Truman a besoin du nombre total de personnes à évacuer le plus tôt possible.

— Mon personnel possède déjà ces listes, commandant, répondit Langtry sans même jeter un regard à l'homme qui sanglotait sur le sol derrière Honor. Je les communiquerai au capitaine Truman dès que nous aurons terminé.

— Merci. » Honor prit une profonde inspiration et se tourna vers Brentworth.

« Je vous présente mes excuses pour ce qui vient de se produire, capitaine, fit-elle calmement. Veuillez croire que c'est bien l'ambassadeur Langtry qui représente la véritable politique de ma reine envers Grayson.

— Bien sûr, commandant. » Les yeux du capitaine brillaient en lui rendant son regard et elle se rendit compte qu'il ne voyait plus en elle une femme. Il voyait un officier de Sa Majesté, et c'était peut-être le premier Graysonien à jamais faire abstraction de son sexe pour ne prendre en compte que l'uniforme qu'elle portait.

« Parfait. » Elle jeta un coup d'œil à la table renversée et haussa les épaules avant de tourner l'une des chaises vers les deux hommes. Elle s'assit et croisa les jambes, sentant les derniers frissons de colère dans ses membres et le frémissement de Nimitz dans son cou.

« Dans ce cas, capitaine, je pense qu'il est temps que nous nous préoccupions d'assurer au mieux la coopération dont nous avons besoin de la part de votre hiérarchie.

— Oui, monsieur... euh... madame. » Brentworth se reprit aussitôt : il n'hésitait plus. Il sourit même légèrement à son erreur. Puis son sourire s'évanouit. « Sauf votre respect, commandant Harrington, ça ne va pas être facile. L'amiral Garret est... eh bien, il est extrêmement conservateur et je crois que... » Il prit son courage à deux mains. « Je crois que la situation est si difficile qu'il ne raisonne plus avec discernement.

— Excusez-moi, capitaine Brentworth, intervint Langtry, mais ce que vous voulez dire, c'est que l'amiral Garret est un vieux croûton – passez-moi l'expression – au bord de la panique la plus complète. »

Brentworth s'empourpra mais l'ambassadeur eut un mouvement de tête impuissant.

« Je suis désolé de me montrer aussi brutal, capitaine, et je ne rends sans doute pas justice à l'amiral, mais nous devons être brutalement francs désormais et ne pas laisser de place aux malentendus. Je suis tout à fait conscient que personne ne peut remplacer l'amiral Yanakov, et Dieu sait que Garret a toutes les raisons d'avoir peur. Je ne veux pas non plus dire qu'il craint pour lui-même. Il ne s'attendait pas à ce que ce boulot lui tombe dessus et il se sait incapable de vaincre cette menace. C'est assez pour empêcher n'importe qui de "raisonner avec discernement". Mais le fait est qu'il ne va pas de lui-même renoncer à son commandement en faveur d'un officier étranger qui n'est pas seulement un simple capitaine de vaisseau mais aussi une femme, pas vrai ?

— Je n'ai pas parlé de prendre le commandement! protesta Honor.

— Alors vous êtes bien naïve, commandant, répondit Langtry. Si cette planète doit être défendue, c'est à vos hommes que vont échoir le gros des combats – et faites confiance à Garret pour comprendre ça. De plus, comme vous l'avez dit vous-même, aucun officier graysonien ne sait comment utiliser pleinement vos capacités. Leurs plans vont devoir se conformer aux vôtres et non l'inverse, ce qui vous met de facto en position d'officier supérieur. Garret le sait bien mais il ne peut pas l'admettre. Non seulement il aurait l'impression de se décharger de ses responsabilités, mais en plus sur une femme. » L'ambassadeur jeta un coup d'œil au capitaine Brentworth mais poursuivit sans ciller. « Aux yeux de l'amiral Garret, cela signifie automatiquement que vous n'êtes pas apte au commandement. Il ne peut pas confier la défense de sa planète à quelqu'un qu'il sait incapable d'accomplir cette tâche. »

Honor se mordit la lèvre, mais elle ne pouvait pas réfuter le jugement de Langtry. Le vétéran derrière cette façade d'ambassadeur ne savait que trop bien comment la peur pouvait influer sur les réactions des hommes, et peu de craintes étaient aussi profondes ou tuaient autant de gens que la peur de l'échec. La peur d'admettre l'échec. C'est elle qui poussait un commandant qui perdait pied à s'accrocher à son autorité, qui le rendait incapable de la déléguer alors même qu'il se savait incapable de réussir, et Langtry avait également raison quant à la façon dont les préjugés de Garret viendraient renforcer sa peur.

« Capitaine Brentworth. » La voix d'Honor était douce et l'officier graysonien braqua brusquement son regard sur elle. « Je me rends compte que nous vous mettons dans une position peu enviable, poursuivit-elle calmement, mais je dois vous demander – et j'ai besoin de la réponse la plus honnête que vous pourrez me donner – si l'évaluation que l'ambassadeur Langtry fait de l'amiral Garret est correcte.

— Oui, madame », répondit Brentworth, promptement bien que clairement contre sa volonté. Il s'arrêta et s'éclaircit la gorge.

— Commandant Harrington, il n'y a pas un homme dans l'armée de Grayson qui soit plus dévoué à la protection de notre planète mais... ce n'est pas lui qui devrait occuper ce poste.

— Malheureusement, il s'y trouve, fit Langtry, et il ne coopérera pas avec vous, commandant.

— Alors je crains que nous n'ayons pas d'autre solution que de le court-circuiter. » Honor se redressa. « Avec qui sommes-nous en contact, Sir Anthony ?

— Eh bien... » Langtry se frotta la lèvre. « Il y a bien le conseiller Long, ministre de la Flotte, mais il n'a pas d'antécédents militaires. Je doute qu'il soit prêt à court-circuiter un officier supérieur expérimenté sur un sujet aussi crucial.

— Je suis presque sûr qu'il ne le ferait pas, Sir Anthony », intervint Brentworth. L'officier graysonien prit une chaise avec un petit sourire d'excuse mais ce geste en disait long : il le rangeait clairement du côté des étrangers, contre son propre commandant militaire en chef. « Comme vous le disiez, il n'a pas d'antécédents militaires. À part pour les questions administratives, il s'en est toujours référé au jugement de l'amiral Yanakov. Je ne le vois pas changer sa façon d'agir maintenant et, pardonnez-moi, commandant, mais il est plutôt conservateur lui aussi.

— Capitaine... (Honor se surprit à rire sincèrement) j'ai dans l'idée que nous n'allons pas aller bien loin si vous continuez à vous excuser au nom de tous ceux à qui mon sexe pose problème. » Elle l'interrompit d'un geste alors qu'il allait répondre. « Ce n'est pas votre faute, et ce n'est pas vraiment la leur non plus. Et puis, même si ça l'était, nous n'avons vraiment pas le temps de désigner des coupables. j'ai la peau assez dure pour subir ce qu'il faudra, alors continuez sans vous préoccuper de mes ressentiments.

— Bien, commandant. » Brentworth lui sourit, se détendant encore un peu, puis son front se plissa tandis qu'il réfléchissait.

« Que pensez-vous de l'amiral Stephens, Sir Anthony ? » Il regarda Honor. « C'est, ou plutôt c'était, le chef d'état-major de la flotte jusqu'à l'année dernière.

— Non, décida Langtry. Comme vous le disiez, il a pris sa retraite. Et de toutes façons, Long et lui se détestent cordialement. Un problème personnel. » Il eut un geste de la main comme pour écarter cette idée. « Ça n'a rien à voir avec la politique de la Flotte mais ce serait en travers du chemin et nous n'ayons pas de temps à perdre avec ça.

— Alors je ne vois pas qui il reste. » Brentworth poussa un soupir. « À part le Protecteur, en tout cas.

— Le Protecteur ? » Honor haussa un sourcil à l'adresse de Langtry. « C'est une idée. Pourquoi ne pas demander au Protecteur Benjamin d'intervenir ?

— Ce serait absolument sans précédent. » Langtry secoua la tête. « Le Protecteur n'intervient jamais entre les ministres et leurs subordonnés.

— N'en a-t-il pas le droit? demanda Honor, surprise.

— Eh bien, si, techniquement, d'après la constitution écrite. Mais la coutume est autre. Le Conseil du Protecteur a le droit de donner son avis et son approbation pour les nominations ministérielles. Ce dernier siècle, ce droit s'est transformé en un contrôle des ministères dans les faits. Pour tout dire, c'est le chancelier, en tant que premier conseiller, qui dirige véritablement le gouvernement aujourd'hui.

— Attendez une minute, Sir Anthony, dit Brentworth. Je suis d'accord avec vous, mais la constitution ne prévoit pas vraiment Ire genre de situation non plus, et la flotte demeure plus attachée aux traditions que les civils. » Il sourit à Honor. « Rappelez-vous que nous jurons de servir le Protecteur et non le Conseil ou la Chambre. Je pense que s'il affirmait ses pouvoirs écrits, la flotte l'écouterait.

— Même pour mettre une femme à sa tête ? s'enquit Langtry d'un air sceptique.

— Eh bien... » C'était au tour de Brentworth d'hésiter mais Honor se redressa brusquement et posa les deux pieds sur le sol.

« Très bien, messieurs, nous n'allons pas régler notre problème si nous ne décidons pas à qui en parler, et je ne crois pas que nous ayons vraiment le choix. D'après ce que vous dites, il faut que ce soit le Protecteur si nous ne voulons plus être isolés.

— Je pourrais lui en parler, fit Langtry d'un air songeur, mais il faudrait d'abord que j'obtienne le feu vert du chancelier Prestwick. Ça implique de passer par le Conseil et je sais que certains feront barrage malgré la situation. Ça va prendre du temps, commandant. Au moins un jour ou deux.

— Nous n'avons pas un jour ou deux.

— Mais... »

Honor secoua la tête. « Non, Sir Anthony. Je suis désolée mais si nous choisissons d'agir ainsi, je finirai par défendre cette planète toute seule. À supposer que les Masadiens aient l'intention de continuer leurs opérations maintenant que mon escadre est de retour, je ne peux pas croire qu'ils patientent aussi longtemps. Et franchement, s'ils ont importé tous leurs BAL dans ce système pour soutenir leurs unités hypercapables restantes et deux croiseurs havriens, je vais avoir besoin de toute l'aide que je pourrai trouver pour les occuper pendant que je me charge des gros morceaux.

— Mais que pouvons-nous faire d'autre ?

— Nous pouvons tirer parti du fait que je suis un capitaine un peu trop direct et franc, sans la moindre notion des subtilités diplomatiques. Au lieu d'envoyer une proposition écrite ou une note diplomatique par les canaux habituels, exigez un entretien direct entre le Protecteur Benjamin et moi-même.

— Mon Dieu, mais ils ne feront jamais ça! fit Langtry, estomaqué. Un entretien personnel entre le Protecteur et une femme? Le représentant d'une flotte étrangère, qui se trouve être de sexe féminin ? Non, c'est hors de question !

— Alors débrouillez-vous pour que ce soit envisageable, Sir

— Anthony », répondit Honor d'un ton sévère. Elle ne recherchait plus son soutien : elle lui donnait un ordre, et il le savait. Il la regarda fixement, s'efforçant de trouver un moyen de lui obéir, et elle se mit soudain à sourire.

« Capitaine Brentworth, vous êtes sur le point de ne pas entendre ce qui va se dire. Vous pouvez faire ça ou bien dois-je vous demander de quitter la pièce pour de bon?

— Mon audition n'est plus ce qu'elle était, commandant », fit Brentworth avec un sourire presque complice. De toute évidence, seule la force aurait pu lui faire quitter la salle de conférence.

« Très bien, dans ce cas. Monsieur l'ambassadeur, vous allez dire au gouvernement graysonien que si on ne m'autorise pas à rencontrer personnellement le Protecteur Benjamin, je considérerai que Grayson ne juge pas avoir besoin de mes services, auquel cas je n'aurai plus d'autre option que d'évacuer tous les sujets manticoriens et de me retirer de Yeltsin dans les douze prochaines heures. »

Brentworth la regarda d'un air hébété; le plaisir qu'il ressentait un instant plus tôt s'était soudainement mué en horreur. Elle lui fit un clin d'œil.

« Pas de panique, capitaine. Je ne vais pas vraiment m'en aller. Mais si nous formulons notre requête dans ces termes, ils n'auront pas d'autre choix que d'écouter, n'est-ce pas ?

— Euh... oui, commandant, je suppose », fit Brentworth, secoué, tandis que Langtry hochait la tête avec réticence.

« Ils ont déjà une crise militaire sur les bras, je suppose qu'on peut aussi bien y ajouter une crise constitutionnelle pour faire bonne figure. Le ministre des Affaires étrangères sera horrifié quand il apprendra que nous avons envoyé un ultimatum à un chef de gouvernement ami, mais je crois que Sa Majesté nous pardonnera.

— Quand pouvez-vous envoyer le message ?

— Dès que je serai devant le terminal de communication de mon bureau, mais, si ça ne vous dérange pas, j'aimerais passer quelques minutes au moins à soigner la formulation. Je voudrais produire quelque chose de formel et de raide qui laisse entendre que j'ai peiné face aux exigences d'une tête de mule de militaire qui ne comprend pas qu'elle viole tous les précédents diplomatiques. » Malgré la tension, Langtry partit d'un petit rire. » Si je fais bien les choses, je pourrais même éviter de balancer ma carrière par le sas extérieur tout en ayant pointé une arme sur la tête d'un gouvernement ami !

— Vous pouvez faire de moi un ogre aussi méchant que vous le voulez tant que le sauvetage de votre carrière ne nous ralentit pas trop », fit Honor avec un nouveau sourire. Elle se leva. « Eh bien, pourquoi ne travailleriez-vous pas à votre formulation pendant que nous gagnons votre bureau ? »

Langtry hocha de nouveau la tête. Il souriait, mais son regard trahissait sa stupéfaction face au message impitoyable qu'elle voulait faire passer. Il quitta la salle de conférence, Honor sur les talons; le capitaine Brentworth, l'air plus stupéfait encore, marchait dans leur sillage.

Aucun ne jeta le moindre regard au diplomate qui continuait de pleurer en silence dans l'ombre de la table renversée.

 

Pour L'Honneur de la Reine
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